Bonjour !
Comme vous l’avez peut-être remarqué, je travaille pour vous proposer une liste de biographie de danseurs et danseuses de ballet. Comme je n’arrive pas à résumer en deux paragraphes ce que je veux vous dire sur certains livres, j’ai décidé de leur accorder un article. Voici le premier, sur Maria Tallchief.
Maria Tallchief est la première grande ballerine américaine et elle a écrit son autobiographie, « America’s prima ballerina », avec Larry Kaplan, en anglais. Ce livre a été publié en 1997 en version papier puis en 2015 en version numérique sur le site SCRIBD (on peut le lire gratuitement dans ce cadre d’un test de 30 jours).
Ce livre est long (plus de 400 pages) et sans photos, mais j’ai beaucoup apprécié sa lecture, et le style franc et simple avec lequel Maria Tallchief raconte sa vie. J’aimerais que ce livre soit traduit en français.
J’aurais aimé que ce livre inclue des photos, mais heureusement on peut en voir sur cette exposition en ligne du « National Women’s History Museum ». Et pour illustrer cet article, je vous ai mis deux photos issues de la Bibliothèque-Musée de l’Opéra de Paris, où Maria Tallchief a dansé « Giselle » avec Peter Van Dyk, un extrait de ce programme et un extrait de ce magazine.
Maria Tallchief est née Elizabeth Mary Tall Chief à Fairfax, dans la réserve osage de l’état américain d’Oklahoma.
Son père, Joseph Alexander Tall Chief, était osage (une nation native d’Amérique du Nord) et Maria explique que ce peuple a été chassé à plusieurs reprises par les colons blancs au 18ème siècle puis que, suite à la découverte de pétrole sur son territoire à la fin du 19ème siècle, la nation osage a vécu des années de richesse matérielle tout en étant sous le coup de lois visant à faire disparaître leur langue et leur culture et en subissant des meurtres de colons blancs qui souhaitaient s’emparer de leur redevance sur le pétrole.
La mère de Maria Tallchief, Ruth Mary Porter, était américaine d’origine écossaise et irlandaise, et elle a rencontré son père car sa sœur était une employée de la maison où vivait le père de Maria Tallchief. Il avait déjà trois enfants d’une première épouse décédée quand ils étaient petits et qui ont ensuite été élevés par leur grand-mère paternelle. Il a eu trois enfants de Ruth : Jerry, Maria et Marjorie.
Maria et sa petite sœur Marjorie ont été suivies de près par leur mère pour devenir des artistes, en le faisant étudier la danse classique dès l’âge de 3 ans, en faisant faire du piano à Maria, et en les faisant danser lors de fêtes locales, y compris en leur faisant faire des « danses indiennes » qui n’avaient rien d’authentiques.
Maria Tallchief a ensuite étudié auprès de Bronislava Nijinska puis a été embauchée à 17 ans dans la compagnie Ballet russe de Monte Carlo. Elle raconte la vie lors des tournées de la troupe en Amérique du Nord pendant la deuxième guerre mondiale, ainsi que son premier amour avec un jeune danseur de la troupe.
Maria Tallchief décrit à plusieurs reprises d’autres danseuses et des danseurs de la troupe, toujours. admirative de leur travail et de leurs capacités.
Puis Maria Tallchief raconte la jeunesse de George Balanchine, formé en URSS mais dont les chorégraphies étaient jugées trop innovantes dans ce pays. Il s’en est échappé en 1924 lors d’une tournée en Europe et a ensuite chorégraphié des pièces pour les Ballets russes, fondé l’école de danse School of American Ballet et a continué son travail de chorégraphe au Ballet russe de Monte Carlo.
Balanchine avait déjà été marié deux fois et avait une vingtaine d’années de plus qu’elle avant de demander à Maria Tallchief, alors âgée de 21 ans, de l’épouser. Devant son hésitation, il précisa que si leur mariage ne durait pas, ce ne serait pas grave. Maria Tallchief avait compris que la vie de Balanchine était tout dédié à la danse, et que ses épouses étaient à chaque fois des ballerines qui l’inspiraient. Balanchine a épousé Maria Tallchief avant de quitter le Ballet russe de Monte Carlo pour fonder la troupe Ballet Society, et son mariage était aussi une manière de s’assurer que Maria Tallchief pourrait le suivre dans ses projets suivants.
De fait, juste après les débuts du Ballet Society, George Balanchine a été invité comme chorégraphe à l’Opéra de Paris pour remplacer Serge Lifar, congédié suite aux accusations de collaboration avec les nazis, et a ainsi pu demander que son épouse soit engagée comme danseuse invitée à l’Opéra de Paris.
Maria Tallchief décrit leur vie dans le monde artistique du Paris d’après-guerre, ainsi que certains dessous de l’Opéra de Paris de l’époque. Elle décrit sans jugement mais sans naïveté les réactions de la presse à ses débuts à l’Opéra : plus que ses capacités de danseuse, ce sont ses origines ethniques qui ont impressionné les journalistes à l’époque.
Sa sœur Marjorie Tallchief est aussi devenue ballerine, embauchée au Ballet Theatre puis dans le Grand Ballet du Marquis de Cuevas avec George Skibine, alors son fiancé. Après moins d’une année passée en France, Maria Tallchief est repartie aux USA avec George Balanchine – Marjorie Tallchief a continué sa carrière en France pendant plusieurs années, y compris en tant que danseuse étoile de l’Opéra de Paris.
Toujours admirative du travail de Balanchine, Maria Tallchief était ravie qu’il continue à la pousser à progresser vers son idéal de ballerine et lui propose de nombreux rôles de soliste. Elle décrit également le travail créatif de Balanchine, ses inspirations et comment il a créé le style du ballet classique américain. Le Ballet Society est ensuite devenu la troupe de danse officielle du New York City Center of Music et a été renommée New York City Ballet. Maria Tallchief décrit son travail incessant pour progresser et les créations du New York City Ballet. Elle indique la double charge qu’elle portait, à la fois en tant que principale ballerine de la troupe et en tant qu’épouse du chorégraphe de la troupe, le tout en étant très jeune, et immature.
Maria Tallchief explique ensuite son amour pour un autre homme, sa séparation sans histoire avec Balanchine, qui de son côté était tombé amoureux d’une autre ballerine de la troupe, encore plus jeune que Maria – mais a honoré sa promesse de continuer de donner de grands rôles à Maria.
Puis Maria Tallchief a rencontré un partenaire de danse idéal pour elle, André Eglevsky. Les créations de Balanchine étaient désormais toutes des succès auprès du public et Maria Tallchief était une danseuse reconnue – elle avait alors 26 ans. Balanchine et elle continuaient de former une « alliance artistique ».
Extrait du magazine « Voir » du 8 juin 1952
Maria Tallchief raconte les différentes tournées de la troupe en Europe, ses tournages pour le cinéma ou la télévision, ses craintes pour les défis que représentent chaque nouveau rôle d’étoile créé pour elle par Balanchine.
Toujours avec simplicité, elle décrit une journée d’honneurs reçus dans ses terres natales, par l’état d’Oklahoma et la tribu osage. Elle rappelle qu’elle a toujours été fière de ses racines (elle n’a jamais accepté de changer son som, seulement d’en accoler les deux parties), mais que ses origines n’ont jamais été un passe-droit pour elle, qui souhaite être une danseuse étoile qui se trouve être d’origine native américaine et non pas une native américaine qui se trouve être ballerine. De fait, Maria Tallchief est considérée comme la première danseuse étoile des États-Unis et une des plus grandes ballerines des États-Unis du 20ème siècle.
Maria Tallchief nous explique fréquemment combien les rôles chorégraphiés par Balanchine étaient adaptés à leur musique, bien conçus et on sent l’enthousiasme constant qu’ils lui inspiraient.
Maria Tallchief a divorcé de son deuxième mari et a eu plusieurs relations amoureuses, y compris avec un homme riche et très âgé – consciente qu’une ballerine à son époque n’avait pas beaucoup de choix une fois qu’elle s’était retirée de la scène (enseigner, être maîtresse de ballet ou être mariée avec/entretenue par un homme riche). A 31 ans, Maria Tallchief s’est mariée avec Buzz, un homme un peu plus jeune qu’elle qui habitait à Chicago, bien loin de New York.
Maria Tallchief a été enceinte de Buzz juste après leur mariage, mais sa grossesse a abouti a une fausse couche. Maria Tallchief en a été très affectée mais a ensuite reçu une nouvelle qui l’a poussée à reprendre la danse : Tanny, la nouvelle épouse de Balanchine et aussi soliste au New York City Ballet, qui avait repris une partie des rôles de Maria pendant son congé pour essayer d’éviter la fausse couche, avait attrapé la poliomyélite et risquait la paralysie à vie, voire la mort. Maria s’est adonnée à nouveau complètement à la danse, Balanchine a encore crée un rôle pour elle, puis les priorités de chacun d’eux ont changé : Maria Tallchief ne voulait pas que son mariage avec Buzz périclite et Balanchine était inspiré par de nouvelles danseuses.
Maria Tallchief a donné naissance à sa fille Elise en janvier 1959. La maternité a été une joie pour elle. Mais elle considérait qu’elle avait encore de nombreuses années de danse devant elle et, quelques mois après, elle a fait son retour pour danser à la télévision puis sur scène. Une nounou à temps plein s’occupait du bébé. Maria Tallchief a ensuite eu un nouveau partenaire de danse favori, Erik Bruhn. Ensemble, ils ont dansé à Moscou (au théâtre Stanislavsky et Nemirovich-Danchenko) et au Kirov lors d’une tournée internationale, et à bien d’autres occasions.
Maria Tallchief s’est séparée de son mari pendant un moment, et elle s’est trouvée en France pour vacances juste après la défection de Noureev pour l’Ouest. Maria a noué une relation avec Noureev et lui a présenté le danseur Erick Bruhn.
Elle est ensuite retournée au New York City Ballet, où Balanchine était toujours au travail pour créer de nouveaux ballets, cette fois inspiré par la jeune et talentueuse ballerine Suzanne Farrell, âgée de 17 ans. Mais cette fois, il en délaissait les autres danseuses, y compris Maria. Ils sont cependant restés liés toute leur vie, et Maria défend ardemment son art et sa personnalité. Elle considère que son héritage n’est pas assez respecté, y compris son avis que le plus important dans un ballet ce sont les femmes. Selon Maria, il faudrait donc plus de femmes formées par Balanchine à la direction, en maîtresses de ballet et en répétitrices afin de transmettre directement ses enseignements.
Maria Tallchief a un peu compensé le manque d’apparitions sur scène en donnant des cours de danse à quelques enfants privilégiés et en participant à des conférences dans des lycées et des universités. Elle se rappelle que deux jeunes hommes noirs lycéens lui ont un jour demandé si le ballet pouvait être pour eux, et elle a répondu par l’affirmative.
Quand on lui a proposé de soutenir des organisations natives américaines, Maria Tallchief a accepté immédiatement. Elle devait aussi danser pour une émission télévisuelle où le public était composé d’enfants natifs américains, mais cela a été considéré comme une tentative d’acculturation et les enfants ne sont finalement pas venus. Maria respectait ce point de vue, même si elle considérait que la beauté de la danse classique devait être proposée à tout le monde. En terme de vocabulaire, Maria Tallchief utilise sans problème le terme « American Indian » (indien d’amérique) – et réprouve le terme « redskin » (peau-rouge) utilisé par la presse française en 1947.
Maria Tallchief a continué de danser puis a pris sa retraite à 41 ans, à la fois lassée par les déplacements incessants et soulagée de pouvoir prioriser la vie avec sa fille et Buzz. Elle avait contemplé danser encore à un âge plus avancé, comme certaines ballerines (Danilova, Alonso, Plisteskaïa), mais il y avait une différence entre elles : elle était mère.
Maria Tallchief conclut son ouvrage avec des pensées pour Balanchine. Tout au long du livre, elle exprime sa gratitude qu’il l’ait formée et ait créé autant de rôles pour elle, et autant de ballets pour des compagnies américaines.
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J’espère que ce résumé de l’autobiographie de Maria Tallchief vous a été agréable. Personnellement j’ai apprécié de connaître le point de vue de Maria Tallchief sur sa vie et les rôles qu’elle a créés, ainsi que les anecdotes montrant le monde du ballet à son époque. Pour compléter, je vous recommande les photos de cette exposition en ligne du « National Women’s History Museum ».
Bon week-end !