Frances Taylor, première danseuse noire en représentation avec le Ballet de l’Opéra de Paris

21 Avr

Bonjour !

Misty Copeland a lancé une chasse au trésor au sujet de Frances Taylor Davis, la première danseuse afro-américaine invitée à danser avec le Ballet de l’Opéra de Paris. Je partage avec vous le résultat de cette quête !

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Commençons par découvrir qui est Frances Taylor, devenue Frances Taylor Davis après son mariage avec Miles Davis.

Frances Taylor est née en 1929 et a suivi une formation de danseuse classique, comme en témoigne une photo d’elle sur pointes à l’âge de 10 ans, deux ans après avoir commencé à prendre des cours de ballet.

La photo ci-dessus est extraite de cette vidéo où Frances Taylor Davis est interviewée par Tripp Mahan pour WeHoTV.

Toujours d’après cette vidéo, le rêve de Frances Taylor était de devenir une ballerine professionnelle, inspirée à 14 ans par la vue d’un spectacle des Ballets russes de Monte Carlo incluant Alexandra Danilova dans le « Lac des cygnes » et Maria Tallchief en la fée Dragée dans « Casse-noisette ».

A 16 ans, Frances Taylor a dansé plusieurs rôles de ballets classiques, et la photo ci-dessous (extraite de la même vidéo) montre par exemple son rôle de la reine des cygnes dans « Le lac des cygnes ».

Mais, vivant aux États-Unis d’Amérique au temps de la ségrégation raciale, c’est au sein de la troupe de danse moderne de Katherine Dunham que Frances Taylor a commencé sa carrière professionnelle. La troupe de Katherine Dunham est la première troupe de danse moderne afro-américaine et c’était, à l’époque, la seule troupe de danse à la fois composée d’artistes noirs et financièrement autonome.

Frances Taylor n’a alors plus eu l’occasion de danser de ballets classiques, à part lors d’une représentation avec le Ballet de l’Opéra de Paris.

Les indices à notre disposition pour trouver des preuves de ce spectacle sont à partir de 5:25 dans l’interview de Frances Taylor Davis par Tripp Mahan pour WeHoTV. Frances Taylor y nomme son partenaire, Max Bozzoni, ainsi que le lieu du spectacle : le Théâtre des Champs Élysées.

Frances Taylor donne aussi d’autres informations : elle est allée à Paris en 1948 dans le cadre d’une tournée de la troupe de danse de Katherine Dunham.

Frances Taylor indique également que la presse a été élogieuse à son égard, la surnommant « la Leslie Caron des tropiques » (Leslie Caron étant une ballerine célèbre à l’époque), entrainant même un peu de jalousie de la part d’autres danseuses de la troupe de Katherine Dunham.

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Avec mon amie Christel, grâce à ces indices et aux formidables ressources de la Bibliothèque Nationale de France disponibles gratuitement sur le site Gallica, nous avons trouvé des coupures de journaux prouvant ces affirmations, et même des photos de Frances Taylor lors de la représentation avec Max Bozzoni ! Je vous montre tout cela.

Toutes les coupures de presse et les photos qui suivent ont pour source le site gallica.bnf.fr de la Bibliothèque nationale de France. La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source des contenus telle que précisée ci-après : « Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France » ou « Source gallica.bnf.fr / BnF ».

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« La Leslie Caron des Tropiques »

Frances Taylor n’apparait pas dans la presse française de 1948-1949 qui évoque la tournée « A Caribbean Rhapsody » de la troupe de Katherine Dunham. Mais la troupe a effectué de nombreuses tournées internationales pendant les années suivantes, et Frances Taylor est donc revenue plusieurs fois à Paris.

Le surnom de Frances Taylor dans la presse française a pour origine un article du journal « Paris-Presse, l’Intransigeant » daté du 17 octobre 1951. Il titre « Les deux atouts de Katherine Dunham : un prêtre vaudou et la Leslie Caron des Tropiques ». Et le texte de l’article précise : « La révélation de ces nouveaux ballets est une jeune danseuse que l’on avait à peine vue lors de la dernière tournée : Frances Taylor. Celle-ci ressemble comme une sœur de lait – noire – à Leslie Caron ».

Le journal « Libération » du 18 octobre 1951 reprend le surnom de « la Leslie Caron des tropiques » et ajoute une photo :

FrancesTaylor-photoinLiberation18oct1951

Et le numéro du 23 octobre 1951 du journal « France Soir » affiche la même information et une autre photo :

FrancesTaylor-photinFranceSoir23oct1951

Le grand succès de Frances Taylor auprès des photographes a conduit Katherine Dunham a interdire à sa danseuse de se laisser prendre en photo, indique le numéro du 30 octobre du journal « Le Petit Marocain », en affichant lui aussi une photo de Frances Taylor…

FrancesTaylor-photoinLePetitMarocain30oct1951

Quand Frances Taylor est revenue en France en 1952, elle était encore surnommée par les journalistes « Leslie Caron des tropiques » – on peut le lire dans le journal « Paris-Presse, l’Intransigeant » du 26 décembre 1952.

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Le « gala de la presse étrangère » du mardi 4 décembre 1951

Le spectacle au cours duquel Frances Taylor a dansé avec Max Bozzoni et des membres du corps de Ballet de l’Opéra de Paris est le 2ème « gala de la presse étrangère », organisé début décembre 1951 au théâtre des Champs Élysées.

Christel et moi avons trouvé cette information dans cet article du journal « La Vigie Marocaine » daté du 6 décembre 1951. Il nous apprend aussi que le numéro où Frances Taylor et Max Bozzoni ont dansé ensemble s’appelait « Mélange ». On peut également y noter que ce tour de danse classique a été précédé par un numéro où Katherine Dunham a interprété une danse « exotique » avec Serge Lifar, de l’Opéra de Paris.

Nous avons trouvé la date du 4 décembre 1951 pour ce gala, aussi appelé « nuit de la presse étrangère », dans le numéro du 2 décembre du journal « Le Franc tireur ». Le texte précise que ce gala sera présidé par Vincent Auriol, alors président de la République française, et que sera présent Trygve Halvdan Lie, secrétaire général de l’ONU.

Le numéro du 3 décembre 1951 du journal « France Soir » précise le programme. Il inclut plusieurs numéros en collaboration avec le Ballet de l’Opéra de Paris et la troupe de Katherine Dunham : un morceau classique avec un danseur de l’Opéra et trois danseuses de Katherine Dunham, un autre morceau classique avec trois danseuses de l’Opéra et un danseur de Katherine Dunham, puis un duo de danse sud-américaine avec Katherine Dunham elle-même et Serge Lifar.

Et nous en avons trouvé une photo dans le journal « France Illustration » du 15 décembre 1951 !

On y voit Frances Taylor, en tutu long, un gros bouquet de fleurs dans les bras, accompagnée de Max Bozzoni, lui aussi en tenue de danse classique. Ils sont entourés de quelques autres danseurs et danseuses du Ballet de l’Opéra de Paris et de la troupe de Katherine Dunham. Pour rappel, si vous diffusez cette photo, il faut indiquer Source : gallica.bnf.fr / BnF.

FrancesTaylor-MaxBozzoni-photoinFranceIllustration

Voici le détail de Frances Taylor avec le danseur étoile de l’Opéra de Paris Max Bozzoni.

Pour trouver cette photo, nous avons tapé « Bozzoni « Frances Taylor » » sur le moteur de recherche du site Gallica.bnf.fr. Et en tapant le nom des deux têtes d’affiche de ce numéro, « Dunham Lifar », nous avons trouvé une photo supplémentaire !

Regardez cette page du numéro du 6 décembre 1951 du journal « Paris-Presse, l’Intransigeant ».

Elle comporte une photo de Frances Taylor en train de danser avec Max Bozzoni ! Cette photo est légendée : « Frances Taylor, vedette de la troupe de Katherine Dunham, pour un instant ballerine, se fit applaudir avec Max Bozzoni de l’Opéra dans le prélude du divertissement intitulé « Mélange ». »

C’est la première, et à ce jour la seule, photo où l’on voit Frances Taylor adulte sur pointes ! Pour rappel, si vous diffusez cette photo, il faut indiquer Source : gallica.bnf.fr / BnF.

Au passage, on peut voir que Frances Taylor ne portait pas de collants blancs pour ce spectacle, ce qui permet de prolonger la ligne de ses bras et de sa tête. Vue la faible résolution de la photo, on ne peut pas savoir si Frances Taylor n’avait pas de collants du tout ou si on doit nuancer le fait que Llanchie Stevenson ait lancé l’innovation de porter des collants marrons avec un tutu. (Que Frances Taylor portât des collants marrons ou pas de collants en 1951, c’est bien Llanchie Stevenson qui a initié le port de collants marrons par-dessus les chaussons de pointe afin que la ligne de la couleur des jambes aille jusqu’au bout du pied.)

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Pour finir sur une anecdote d’humour très français, le numéro du 8 décembre 1951 du journal « Libération » explique pourquoi le président de la République, qui devait présider ce gala, n’a finalement pas pu y assister.

Le Protocole lui en a interdit la présence car un autre numéro du spectacle incluait des femmes aux seins nus. Pour comprendre l’humour de la dernière phrase de cet article de « Libération », il faut savoir que Félix Faure est un président de la République Française qui est décédé dans son bureau de l’Élysée alors qu’il était en pleins ébats avec sa maîtresse.

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Si Misty Copeland lance une nouvelle édition de son livre « Black ballerinas« , la page sur Frances Taylor Davis pourra être complétée : on a des preuves du spectacle où cette danseuse afro-américaine a dansé un ballet classique avec un danseur étoile de l’Opéra de Paris.

Mission accomplie !

Ceci dit, même si on a trouvé encore mieux que le programme de cette soirée, j’aimerais quand même trouver ce programme. La chasse au trésor n’est pas tout à fait terminée…

3 Réponses to “Frances Taylor, première danseuse noire en représentation avec le Ballet de l’Opéra de Paris”

  1. Christel 21 avril 2023 à 19:44 #

    Bonsoir Sandrine,
    Un grand merci à la bibliothécaire qui nous a bien aiguillé au moment où ne pensions plus rien trouver.
    Gros bisous!

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