Camembert de cajou

12 Fév

Bonjour !

Voici le résultat de mes petites recherches sur le substitut de camembert fait maison à base de noix de cajou (pour lequel tout a commencé avec cet article de Full of plants et continue notamment avec la recette d’Anderson de Cashewbert).

C’est un article assez long et le plus complet possible, comme celui que j’avais fait sur le yaourt d’oléagineux. Après l’introduction, vous avez le résumé des étapes et du matériel pour fabriquer un camembert de cajou, puis l’explication détaillée de chaque étape et enfin une interview d’Anderson. Bonne lecture !

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Introduction

Avant de devenir végane, mon fromage préféré était le camembert (suivi de près par le reblochon fermier, mais on en achetait beaucoup moins souvent). J’aimais son goût, l’onctuosité de son coeur et le velouté de sa croûte. Mais ce plaisir est venu se mesurer à la réalité de l’élevage laitier, et j’ai progressivement diminué ma consommation de fromage jusqu’à ne plus en manger du tout, même quand je croise une boîte de camembert dans le frigo de mes parents.

Les substituts de fromage végétaux ne me passionnent pas, car ils ne sont pas conçus pour être bourrés de nutriments, ni écologiques. Leur prix et le fait de les commander par correspondance contribuent aussi à me refroidir. Mais un jour j’ai goûté Happy White, un substitut de camembert à base de noix de cajou, uniquement composé de noix de cajou, de ferments et de sel ! Il n’est pas identique à un vrai camembert, en texture comme en goût, mais c’est un aliment nutritif, qui se conserve assez longtemps et qui m’a apporté un plaisir certain à la dégustation. J’ai donc eu la motivation nécessaire pour me lancer dans la fabrication maison de camembert de cajou. Après tout, c’est « juste » une purée de noix de cajou trempées, salée et fermentée avec des bactéries lactiques et du Penicillium camemberti (ou candidum). Un défi rigolo demandant beaucoup de patience mais peu de travail : parfait pour moi !

C’est Thomas de Full of plants qui a publié en premier une recette de camembert de cajou (il a ensuite récidivé avec du roquefort de cajou !). Pour trouver les ferments, ce n’était pas simple car les laboratoires producteurs ne vendent qu’à des entreprises. Puis est venu Cashewbert, LE site dédié aux fromages végétaux faits maison, avec tout ce qu’il faut : matériel, ferments et recettes détaillées (ici pour le camembert de cajou) ! Le site sera traduit en français d’ici la fin du mois et expédie dès maintenant dans toute l’Europe. Et si vous êtes pressé de commander ET allergiques à l’anglais ou à l’allemand, je vous donne des alternatives ci-dessous.

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Résumé de la fabrication de camembert de cajou

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  1. Nettoyer très soigneusement tout le matériel qui sera utilisé.
  2. Faire tremper des noix de cajou. Éventuellement, les faire blanchir.
  3. Mixer les noix avec un minimum d’eau, des bactéries lactiques et du Penicillium candidum. On doit obtenir une purée très épaisse et bien lisse.
  4. Faire fermenter (tout en égouttant si besoin) pendant un jour (ou deux) à température ambiante, à l’abri de l’air.
  5. Placer au frigo dans un moule très ajouré avec couvercle pendant un jour (ou deux), pour que l’eau continue de s’échapper afin d’obtenir une masse qui se tient.
  6. Démouler sur une grille fine, retirer les éventuelles zones dures et laisser encore un (ou deux) jour(s) au frigo pour que la masse se raffermisse encore. Retourner chaque jour pour que le séchage soit homogène et les faces bien plates.
  7. Saler en étalant à la main 1 cuillerée à café de sel fin par camembert et laisser l’eau s’échapper pendant deux ou trois jours en laissant le fromage au frigo sur la grille. Continuer à retourner chaque jour.
  8. Affiner en laissant le fromage environ 2 h par jour hors du frigo et le reste du temps dans le frigo, toujours sur une grille fine mais en plaçant le tout dans une « boîte à fromage » et toujours en retournant le fromage une fois par jour (à cette étape, on peut se contenter de le retourner une fois tous les 2 ou 3 jours).
  9. Quand la croûte a complètement couvert le camembert (ça prend environ 2 semaines à partir du salage), emballer et conserver au frigo. Comme pour un vrai camembert, le goût et la texture continueront à évoluer. Ceci dit, on sentira toujours le goût de noix de cajou et on n’aura jamais la texture coulante du camembert bien « fait » !

 

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Ingrédients et ustensiles à prévoir pour fabriquer du camembert de cajou

  • Noix de cajou : environ 170 g par camembert
  • Sel : 1 cuillerée à café par camembert
  • Penicillium candidum : 2 pointes de fourchette à dessert de poudre par camembert
  • Ferments lactiques : la quantité dépend des ferments choisis
  • Eau tempérée : pour faire tremper les noix, dissoudre les ferments, mixer les noix
  • Eau bouillante : pour stériliser tous les ustensiles avant utilisation, éventuellement pour blanchir les noix
  • Mixeur/blender : pour réduire les noix et le liquide en purée
  • Etamine : 2 par camembert
  • Moule rond de 11 cm de diamètre et très ajouré, si possible avec poussoir : 1 par camembert
  • Grille en plastique assez resserrée (mailles de 5 mm environ) : 1 (si sa taille le permet, on peut mettre plusieurs camemberts dessus)
  • Boîte d’affinage, si possible avec une grille très resserrée (mailles de 2 mm environ) : 1 (si sa taille le permet, on peut mettre plusieurs camemberts dessus) – à défaut, un bol retourné par camembert
  • Frigo : avec assez de place pour y stocker la boîte d’affinage

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Conseils et explications pour réussir son camembert maison

Durant toute la procédure

Hygiène des mains : Nos mains sont porteuses de tout un tas de germes (= microbes = microorganismes = bactéries, levures ou moisissures), ce qui est généralement utile à la santé de nos mains mais dangereux pour celle de nos aliments car certains germes porteurs de maladies peuvent se développer dans les aliments. Il est donc crucial de se laver soigneusement les mains avant toute manipulation, pour ne pas contaminer le fromage avec les germes de nos mains. Et tant qu’à faire, il est conseillé de se les laver aussi après, pour ne pas disséminer les moisissures du fromage dans la maison.

Hygiène du matériel : Il est conseillé de tuer la majorité des germes présents sur les ustensiles nécessaires à la fabrication de fromage, par exemple en les couvrant d’eau bouillante pendant plusieurs minutes. Cette étape est particulièrement importante si vous réalisez plusieurs types de fermentation (pain, yaourt, camembert, etc). Le plus simple est de verser de l’eau bouillante dans un grand saladier contenant le bol et les lames du blender, le moule, la (les) grille(s). Pour les étamines, je les rince immédiatement après usage puis je les mets avec mon linge à la machine à laver – on souhaite qu’elles soient sèches quand on les utilise.

Hygiène de l’environnement : L’air ambiant contient aussi une petite quantité de germes. Négligeable dans une cuisine bien entretenue, cette quantité peut être élevée dans les locaux peu aérés et humides comme les caves, qui sont donc à éviter pour la fabrication de fromages.

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Étape 1 : La préparation des noix de cajou (Jour 0 ou Jour 1)

Pour 1 camembert, on utilise environ 170 g de noix de cajou. Si vous trouvez les noix de cajou sous forme de brisures, achetez-les : c’est moins cher et ça marche aussi bien que les noix entières à mon avis. Les noix de cajou grillées et salées conviennent aussi – leur sel sera évacué lors du trempage.

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Tremper les noix de cajou pendant quelques heures dans de l’eau tempérée (ou une nuit au frigo), puis les égoutter, présente un intérêt majeur : les ramollir pour les mixer plus facilement à l’étape suivante. Il parait que ça « active » aussi les enzymes qu’elles contiennent, cependant, je me demande si ce n’est pas une légende urbaine étant donné que les noix de cajou du commerce, sauf mention contraire, ne sont pas crues (le procédé de décorticage habituel des noix de cajou comprend une étape de cuisson qui détruit probablement leurs enzymes). On jette habituellement l’eau de trempage.

Blanchir les noix de cajou signifie les plonger dans de l’eau bouillante pendant 5 minutes. Cela a pour but d’éliminer les germes initialement présents sur les noix de cajou. Ce blanchiment correspond à la pasteurisation du lait dans les fromages classiques. En effet, ce sont ces germes qui restent dans les fromages au lait cru et leur donnent plus de caractère, mais aussi (on le croit même si c’est remis en question) le risque de transmettre certaines maladies comme la listériose. Autre intérêt du blanchiment si on passe sans attendre à l’étape 2 : tiédir le mélange et donc accélérer légèrement les étapes 2 et 3 (le mixage est un peu plus facile et la fermentation est un peu plus rapide si le mélange est tiède).

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Étape 2 : La réalisation du mélange cajou/ferments lactiques/Penicillium (Jour 1)

Les ferments lactiques doivent leur nom à leur production d’acide lactique dans les produits laitiers (yaourts, fromages, etc) auxquels ils donnent la saveur acidulée (due à l’acide lactique) mais aussi des arômes plus complexes (dus à la production d’autres substances). Selon la souche de ferment, on obtient plus ou moins d’acide lactique ou d’arômes. Ainsi, des ferments pour yaourt (Alsa par exemple, non bio mais pratiques car ils se conservent à température ambiante), des probiotiques à base de Lactobacillus ou d’Acidophilus, les bactéries mésophiles vendus sur Cashewbert, mais aussi du réjuvelac fonctionneront, et donneront chacun une saveur un peu différente. La quantité à utiliser est très approximative : environ 3 milliards de bactéries par camembert.

Le Penicillium du camembert est appelé Penicillium camemberti ou Penicilllium candidum. On le trouve généralement sous forme de poudre à conserver au congélateur. On peut en acheter sur Brouwland et bien sûr sur Cashewbert. La quantité à utiliser est, ici aussi, approximative : j’aime bien la recommandation de Cashewbert, qui est de 2 pointes de fourchette à dessert de Penicillium en poudre pour 1 camembert.

Il est recommandé de réhydrater le Penicillium avant utilisation, je pense que c’est plus pour faciliter sa répartition homogène dans la purée de cajou que pour « réveiller » la souche. On peut mettre un petit peu d’eau (3 cuillerées à soupe) dans le bol du mixer, ajouter les ferments lactiques et le Penicillium puis mélanger en inclinant le bol du mixeur.

On peut incorporer, en même temps que les ferments, d’éventuelles enzymes qui auront pour rôle de corser le goût du fromage (papaine, moromi) comme proposé sur Cashewbert.

L’eau peut éventuellement être bouillie pour s’assurer qu’elle ne contient aucun microorganisme (mais c’est généralement le cas avec toute eau potable !), puis laissée refroidir jusqu’à ce qu’elle soit froide ou tiède – afin de ne pas tuer les microorganismes qu’on ajoutera (ferments lactiques et Penicillium). L’intérêt de faire bouillir de l’eau est surtout de l’utiliser pour « stériliser » tous les ustensiles, comme je l’ai expliqué plus haut.

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Pour mixer les noix de cajou égouttées, on utilise un blender ou un robot et le moins d’eau possible, afin d’obtenir une purée très épaisse mais sans aucun morceau. La quantité d’eau, chez moi, avec mon Personal Blender et pour 1 camembert, est de 3 cuillerées à soupe (celles qu’on a mélangées aux ferments) + environ 5 cuillerées à soupe. Je dois réaliser le mixage en deux fois (la moitié des noix avec les ferments et la moitié de l’eau, puis l’autre moitié des noix et de l’eau) pour que toutes les noix soient mixées. Ceci dit, je n’y passe que peu de temps et il reste souvent quelques petits morceaux de noix, et je trouve ce petit croquant agréable dans le fromage final.

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Étape 3 : La fermentation lactique (de Jour 1 à Jour 2)

La production d’acide lactique dans le fromage est réalisée par les ferments lactiques en absence de dioxygène (anaérobiose) – ce qui, dans nos cuisines, signifie : en absence de contact avec l’air ambiant. Pour cela, Thomas propose de placer le mélange dans un bol couvert de film étirable, personnellement je pense que de toute façon l’intérieur du mélange est en anaérobiose, donc il suffit de laisser le mélange tel quel. Par contre, il faut veiller à ce que l’extérieur ne sèche pas sinon il va se former une croûte. Laisser le mélange simplement enveloppé dans une étamine est donc une mauvaise idée, car une croûte va se former dans l’épaisseur de l’étamine, et il sera difficile de la nettoyer correctement ensuite. On peut mettre l’ensemble dans une boîte pour éviter le séchage. Personnellement je laisse pendant 12 à 24 h le mélange dans une étamine (« cheese cloth » de Cashewberth« ) placée dans le moule à camembert (« round cheese form (camembert)« ), couvert avec le « poussoir » fourni.

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La durée de cette étape dépend de la quantité de ferments lactiques, de la souche, de la température (19 °C environ chez moi en ce moment). C’est donc à vous de décider si elle dure 1 ou 2 jours, en gouttant un petit peu de mélange : le goût doit être très légèrement acidulé, un peu comme un yaourt.

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Étape 4 : Le début de la mise en forme (Jour 2)

Un vrai camembert fait environ 11 cm de diamètre et 3 cm d’épaisseur. Il faut donc trouver un moule cylindrique d’environ 11 cm de diamètre et d’au moins 4 cm de hauteur. Thomas propose d’utiliser comme moule un emporte pièce chemisé de papier cuisson ou de film étirable, mais pour moi il faut que le moule soit ajouré pour permettre à l’air de mieux s’échapper et donc à la masse de se raffermir plus vite. J’ai d’abord testé le moule de Fromage maison : il est un peu trop grand et surtout il n’est pas assez ajouré à mon goût. Celui de Cashewbert (« round cheese form (camembert)« ), avec son poussoir adapté, est parfait. Je transfère la masse dans une nouvelle étamine que je place dans ce moule puis j’appuie le poussoir par-dessus pour donner sa forme au camembert. L’assemblage a donc exactement le même aspect que celui photographié à l’étape 3.

On réalise cette étape au frigo pour à la fois aider à raffermir le mélange et ralentir fortement la fermentation lactique.

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Étape 5 : La fin de la mise en forme (Jour 3)
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On démoule délicatement la masse sur une grille fine et elle doit garder sa forme. Thomas propose d’utiliser comme grille une natte en bambou comme celles utilisées pour rouler les sushis. Je n’aime pas cette solution car il n’est pas possible de la nettoyer aussi bien qu’un treillis en plastique (ou en inox), ni de la stériliser. Une natte en bambou constitue donc une source de contaminations ! J’utilise idéalement la grille à fromage de Cashewbert (« cheese mat« ), qui est plus épaisse et à mailles plus larges que la grille des boîtes d’affinage de Fromage maison.

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Étape 6 : Le salage (Jour 4)

Dès que le fromage est assez ferme pour le permettre, il faut le saler en massant doucement toutes ses faces avec du sel fin (1 cuillerée à café par camembert). Le salage a un intérêt gustatif et surtout favorise la croissance de la moisissure (Penicillium) au détriment des autres germes, notamment bactériens.

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Le troisième intérêt du salage est de permettre une évacuation supplémentaire de l’eau, qui sort par osmose. Du coup, je ne mets pas encore de boîte autour du fromage. Je sale à Jour 4 puis je replace le fromage au frigo et le retourne tous les jours de Jour 5 à Jour 7 pour que toutes les faces sèchent un peu.

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Étape 7 : L’affinage (de Jour 7 à environ Jour 20)

Le Penicillium se développe bien à température ambiante, mais des germes indésirables peuvent se multiplier plus vite que lui à cette température. Il est donc recommandé de placer les fromages pour affinage à 12 °C environ. L’idéal semble d’utiliser une cave électrique, car une vraie cave peut avoir la bonne température mais aussi une forte quantité de germes indésirables. A défaut, il est recommandé de placer les fromages au frigo, en les sortant à température ambiante environ 3 h chaque jour, et ça marche très bien !

Les moisissures (dont le Penicillium) ont besoin d’humidité pour se développer. Comme le frigo et l’atmosphère ambiante ne sont généralement pas assez humides, il faut placer les fromages dans une boîte d’affinage – je l’appelle « boîte à fromage ». Il s’en vend de spécifiques (taille normale ou encore plus grande) mais pour le camembert il suffit d’une boîte hermétique dont on pose le couvercle sans le fermer afin de laisser un petit passage d’air. On peut même se contenter d’un grand bol retourné si on affine un seul camembert ! Il parait qu’une boîte à fromage spécifique est utile pour l’affinage du roquefort, et ça se trouve sans problème en France par exemple sous la marque Tefal – je n’en ai pas (encore) acheté car je ne compte pas faire de fromage bleu pour le moment.

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Les moisissures (dont le Penicillium) ont besoin d’oxygène (aérobiose) pour se développer. Il faut donc retourner le fromage de temps en temps pour que toutes les faces aient bien accès à l’air. Les vrais camemberts sont retournés sous les 6 jours. Moi qui affine les fromages au frigo et les sors donc un peu tous les jours, je les retourne quasiment tous les jours – en me lavant les mains juste avant (pour ne pas contaminer le fromage) et juste après (pour ne pas contaminer la maisonnée) !20170212-12

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Je surveille attentivement l’aspect du fromage à chaque fois que je le retourne, pour m’assurer qu’aucun microorganisme indésirable ne se développe. En cas de doute, je prends une photo de la tache suspecte et compare l’évolution au bout de quelques jours. Jusqu’à présent, les taches suspectes ne se sont jamais maintenues.

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Étape 8 : La conservation du fromage (de environ Jour 20 à environ Jour 40)

On enveloppe le fromage affiné dans un papier qui ne laisse pas passer l’air. Ceci permet de plus ou moins stopper le développement de la moisissure.

La température de conservation est celle du frigo (environ 4 °C) afin de ralentir fortement toute activité microbienne. Elles se poursuivent néanmoins doucement, ce qui fait que le goût et la texture du fromage évoluent au long de cette période aussi.

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Interview d’Anderson, fondateur de Cashewbert

(entretien réalisé en anglais puis traduit par mes soins)

Vous proposez tout ce qu’il faut, ingrédients comme tutoriels, pour fabriquer des fromages végétaux affinés. Comment avez vous mis au point vos recettes ?

Je viens du Brésil où j’ai passé 14 ans en étant végane, sans que le fromage ne m’ait vraiment manqué. Mais depuis que je vis en Europe, j’ai découvert les hivers qui donnent envie de plats riches au goût prononcé. Comme il n’y avait quasiment aucune information sur les fromages végétaux, surtout affinés, j’ai fait des essais. En ajoutant des ferments de fromagerie à du tofu, ça ne marchait pas du tout : aucune saveur ne se développait. Puis j’ai découvert l’existence du tofuyo, un tofu affiné à l’aide de koji, un riz fermenté qui sert aussi à fabriquer le miso et la sauce soja. J’ai alors compris que les ferments de fromagerie ne pouvaient pas dégrader toutes les protéines, et j’ai découvert la transglutaminase, une enzyme qui agit un peu comme la présure, mais sur les laits végétaux. A partir de là, il fallait juste trouver les bons ingrédients, comme le lait d’amande, riche en protéines, mélangé à du lait de coco, riche en graisses. Je veux continuer à améliorer mes recettes, car actuellement elles nécessitent encore beaucoup de transglutaminase. Je pense qu’en rendant ces recettes disponibles sur internet, des gens les essayeront et enverront des remarques pour les améliorer.

Pour fabriquer des fromages affinés, il faut des moisissures, comme Penicillium roqueforti pour les fromages « bleus ». Comment vous êtes-vous procuré ces souches ? Comment sont-elles cultivées ?

La recherche de souches et enzymes véganes a été la partie la plus difficile de mes essais. J’ai fini par trouver un petit producteur français qui cultive les ferments sur maltodextrine et pas sur lactose. Et pour la transglutaminase, j’ai eu beaucoup de mal à trouver un fournisseur qui acceptait de vendre à un particulier (et pas seulement à une entreprise). C’est pour que les ingrédients et les recettes de fromages végétaux soient disponibles à tou-te-s que j’ai décidé d’ouvrir un site de vente en ligne.

Certaines de vos recettes demandent des enzymes (transglutaminase, papaine). Sont-elles nécessaires ? Dites-nous en plus sur l’origine de ces ingrédients.

Pour la transglutaminase, appelons-la TG. Son nom fait peur mais c’est une famille d’enzymes qui existe naturellement, par exemple dans notre organisme où elle participe à la coagulation du sang. Dans l’industrie alimentaire, la TG sert à la fabrication de saucisses. La TG que nous vendons est produite en laboratoire grâce à des microorganismes, comme l’est la présure microbienne utilisée dans certains fromages végétariens. C’est un produit sans danger même si il faut éviter de mettre la poudre en contact avec la peau ou les yeux à cause des risques de réaction allergique chez certaines personnes. Une fois ingérée, par contre, la TG est digérée sans problème.

Concernant la papaine, c’est une enzyme extraite de la sève de papayer. Elle est très puissante donc il ne faut pas en mettre trop dans les fromages sous peine d’avoir un arrière goût, mais elle est sans danger pour la santé ; elle est habituellement vendue comme complément alimentaire pour aider la digestion. A la place de la papaine, on peut utiliser du koji, qui est du riz inoculé avec un champignon qui produit des enzymes dégradant les protéines, les glucides et les graisses ; le koji est très utilisé dans les produits fermentés asiatiques.

Quant à savoir si ces enzymes sont nécessaires à la fabrication de fromages, ça dépend de ce que voulez pour votre fromage. Une enzyme qui dégrade les protéines, comme la papaine ou les enzymes du koji, facilite la formation d’arômes : si on n’en utilise pas, le fromage aura moins de goût. Et pour la TG, qui sert à faire cailler les laits végétaux, la remplacer par un acide (jus de citron ou vinaigre) pose problème pour l’action ultérieure des enzymes et des ferments. Ceci dit, la fabrication de fromages végétaux est récente, donc il y a surement moyen de tenter des approches différentes pour obtenir de super fromages.

Avec des noix de cajou, vos kits et vos tutoriels, tout un chacun est vraiment capable de fabriquer un camembert végane ?

Le camembert de cajou est le fromage affiné le plus facile à réussir à la maison. La seule chose à vérifier (en plus de l’hygiène) est la température du frigo où la moisissure du fromage se développera. S’il est trop froid, elle ne se développera pas bien. L’idéal est qu’il soit au-dessus de 10 °C. Il est important de comprendre les étapes et ensuite vous pouvez facilement obtenir des versions de camembert à la fois simples et délicieuses. Donc oui, c’est un très bon fromage pour commencer, le secret est d’être patient-e : il faut bien 15 jours d’attention quotidienne puis 10 jours d’attente avant que le fromage soit prêt à manger. Nous avons créé des recettes faciles à suivre mais il y a de nombreuses variantes pour intensifier le goût ou améliorer la texture. Alors une fois que vous aurez fait vos premiers camemberts, vous pourrez essayer de changer certaines choses et suivre d’autres recettes publiées sur des blogs.

Quels autres fromages peut-on fabriquer en utilisant vos produits ?

Jusqu’à présent, nous nous sommes concentrés sur les fromages affinés car ce type de fromage n’était tout simplement pas disponible à la vente. Nous travaillons sur un fromage à croûte lavée et sur un fromage de type alpin, en utilisant des souches que nous ne vendons pas encore car notre recette n’est pas finalisée. Mais avec du koji et les souches actuellement disponibles, vous pouvez sans doute fabriquer du cream cheese, de la feta et d’autres fromages affinés dont la croûte ne demande pas de soin particulier, comme du « bleu ».

Avez-vous des propositions pour les véganes allergiques aux oléagineux ?

Notre site se nomme Cashewbert, mais nous n’utilisons pas que des noix de cajou (cashew nuts ou cashews en anglais). Vous pouvez aussi utiliser du soja ou des amandes, et nous travaillons à une recette à base de lupin qui conviendra à tout le monde à part les allergiques aux cacahuètes et au lupin. Et avec la transglutaminase on peut utiliser n’importe quel aliment riche en protéines pour faire du fromage. Certains donneront un goût fort, donc il vaut choisir le bon ingrédient. Et nous sommes en train de mettre au point des recettes avec une grande variété d’ingrédients, donc vous en trouverez sans doute une qui vous ira. Si vous avez besoin de conseils, vous pouvez toujours nous contacter et nous vous aiderons à trouver un bon ingrédient alternatif.

Comment voyez-vous le futur de la fromagerie végane ? Êtes-vous en train de mettre au point d’autres surprises pour les amateurs de fromages sans lait ?

Nous avons de grands rêves, même s’il est trop tôt pour dire que nous les réaliserons. Nous travaillons dur pour obtenir le meilleur des fromages végétaux. Le plus difficile est de faire des fromages végétaux capables de fondre aussi bien que les fromages animaux. Alors vous pouvez vous attendre à de belles recettes de fromages avec croûte et de fromage à pâte pressée, mais les fromages qui fondent seront toujours compliqués. Et en ce qui concerne le goût, les protéines végétales en donnent un différent des protéines des laits animaux : ce sera bon, mais simplement le goût sera différent. Enfin, nous gardons un oeil sur le projet Real Vegan Cheese, qui a pour but d’utiliser des levures pour produire des protéines de lait animal. Donc même si vous pensez qu’actuellement les fromages végétaux ne sont pas assez bons, je pense que d’ici quelques années ils seront tellement variés qu’il sera difficile de choisir parmi toutes les versions excitantes qui existeront.

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Bon dimanche !

23 Réponses to “Camembert de cajou”

  1. laurent dran 12 février 2017 à 00:19 #

    c’est drôle parce-que ce weekend, j’ai goûté mon premier camembert végétale fait maison après 3 semaines d’affinage. La saveur était plutôt douce et agréable. Dans 15 jours, je goûte mon roquefort végétale 🙂

    On peut trouver des ferments pour les particuliers sur internet chez agrodirect

  2. Félicie 12 février 2017 à 03:54 #

    Merci Sandrine pour ce passionnant, et encore une fois très complet article! mes essais de fromage affinés n’ayant jamais été concluants, je suis bien contente que tu nous proposes ainsi des clés! j’espère pouvoir en faire à mon retour de voyage! pour l’instant, le fauxmage de cajou juste fermenté 24h avec du miso nous donne beaucoup de plaisir -encore plus en Inde, pays de la noix de cajou!-, car cela reste réalisable en voyageant… bisettes!

  3. Antigone XXI 12 février 2017 à 12:15 #

    Ca, c’est un article à la Végébon ! Félicitations ! Je ne sais pas si j’aurais le courage d’attendre tout ce temps (j’aime quand les choses sont prêtes tout de suite, je suis une impatiente née), mais ça fait hyper envie en tout cas ! Tu ne parles pas beaucoup du goût de ton fromage, d’ailleurs : ça ressemble vraiment à un camembert ?
    Bisous Sandrine ! A vite ! 🙂

  4. mamapasta 12 février 2017 à 13:28 #

    tu ne me vois pas , mais j’ai l’oeil qui brille et l’eau à la bouche, quand je pense que mon voisin a tout le mathos nécessaire ( il fait du  » camembert de chêvre) mais que je me vois mal débarquer avec ma charlotte sur la tête pour placer mes camembert de cachou dans ses chambres d’affinage…
    c’est GEANT ce truc…note bien que le jour ou tu te lances dans le bleu à base de lupin il va falloir installer une porte blindée pour m’empêcher de manger l’intégralité de ta production .
    En fait si on a un labo dédié ( comme mon voisin) et l’habitude, ça ne doit pas être plus compliqué que de faire du camembert fermier…j’ai hâte de voir des petits producteurs vendre ces produits sur les marchés ( à base de graines locale, le cajou, je tique un peu)
    j’espère qu’on n’aura pas de version industrielle aussi mauvaise que le camembert plâtreux des cantines…
    Les  » retombées » de tes études sont épatantes!!!

  5. lilizen 12 février 2017 à 17:58 #

    Quel boulot mes aieux, quel boulot, tu es géniale ! Depuis que j’ai vu ce camembert à la vente, je bave mais là…le réaliser encore chapeau !
    Une vraie aventurière de la cuisine végétale, j’adore, je n’en perds jamais une miette, c’est super encore une fois ! :))

  6. Rose Citron 13 février 2017 à 15:50 #

    Ohlala, quel bonheur!!!!! Merci pour cet article!!!! J’avais vu cette recette de camembert de cajou, mais ç asemblait très compliqué de trouver des ferments qui ne soient pas fait pour 5000litres de lait et qui soient véganes; tu me fait découvrir le site cashewbert, merci 🙂
    Moi c’est le bleu qui me manque trop!!!!

  7. GrassforPillow Tourdumondiste Végane 18 février 2017 à 22:12 #

    C’est incroyable ! Félicitations pour cet article excellent et le fromage a l’air top !
    Peut-être qu’un jour on aura ça au rayon frais, à côté des fromages, comme aujourd’hui pour les yaourts de soja … Laissez-moi rêver 🙂

  8. La vie est là simple et tranquille 11 juin 2017 à 13:47 #

    Bonjour,
    Merci infiniment pour cet article très précis et précieux. Et merci pour avoir tester tous ces matériels et techniques. Je me permets deux questions avant de passer à la pratique.

    Savez-vous quelle quantité de culture mésophilique de chez Cashewbert est nécessaire pour la réalisation d’un camembert de 170g de cajou ?

    Vous parlez d’un poussoir allant avec le Round cheese form, l’avez-vous acheté à côté, était-il vendu avec ?

    D’avance merci pour vos réponses.
    Bon dimanche 🙂

    • vegebon 11 juin 2017 à 18:40 #

      Bonjour,
      Merci pour votre intérêt. Le poussoir est fourni avec le moule, même si la photo ne le montre pas.
      Pour les ferments mesophiles je ne sais pas, de toute manière si vous avez des ferments en poudre une pincée/une pointe de fourchette (plus hygiénique que les doigts ^^) devrait suffire. Et si le goût n’est pas du tout acidulé au bout de quelques heures, ca devrait se résoudre en laissant quelques heures de plus à température ambiante.
      Bons essais ! Revenez nous dire ce que ça a donné :).

  9. Eloynn Mirdin 12 décembre 2017 à 14:11 #

    Bonjour , j’ai fait mes premiers camemberts avec des noix de cajous , et ils sont très réussi , seul hic , le Pénicillium Candidum est hyper cher …et je trouve pas qu’on en fait tant que ça avec les petits sachets (acheter sur le web ) (soit-disant pour 200l … ? )

  10. Lily 22 août 2019 à 01:44 #

    Oh la la, merci pour toutes ces explications détaillées ! Je me suis lancée…question : à l’étape 6 du salage, vous placez les fromages directement dans le frigo sans les couvrir ( du jour 4 au jour 7)?
    Merci d’avance

    • vegebon 24 août 2019 à 17:07 #

      Bonjour Lily,
      Oui c’est tout à fait ça pour le salage. 🙂
      N’hésitez pas si d’autres questions vous viennent. Je vous souhaite une bonne fabrication !

      • Lily 26 août 2019 à 20:53 #

        C’est gentil, merci bcp !
        C’est bizarre car mes fromages après l’etape du salage ne sont pas desseches..rien à voir avec votre dernière photo de l’etape 6, ils restent plutôt comme la dernière photo de l’étape 5 🤔.

      • vegebon 27 août 2019 à 11:38 #

        Bonjour Lily,
        C’est normal, le salage va faire sortir de l’eau du fromage, donc il va redevenir mou et humide un peu comme à l’étape 4. Puis l’eau va s’échapper et il va redevenir plus ferme comme l’étape 5. c’est à ce moment-là qu’on peut le retourner délicatement pour saler l’autre face (et le reste du tour, si ce n’a pas déjà été fait). Vous avez bien placé votre fromage au frigo sur une grille, posée sur une assiette plate ? Il ne faut pas à ce stade que le fromage soit dans une boîte, sinon l’eau ne pourra pas s’échapper.
        Pour accélérer le séchage, vous pouvez sortir le fromage à l’air libre environ 30 minutes par jour (ou seulement 15 minutes s’il fait très chaud chez vous). Sinon, vous pouvez placer un tissu ou un papier absorbant entre la grille et l’assiette, et le changer chaque jour.

  11. Lily 27 août 2019 à 15:21 #

    Ok, merci pour tous vos conseils, c’est gentil !

  12. Giraud 12 novembre 2022 à 19:52 #

    Bonjour,

    Si nous faisons du réjuvélac, combien faut il de ferment dans la recette ?

    Merci !

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