Archive | 09:00

L’EMDR et ma phobie des bébés qui pleurent

23 Jan

Bonjour,

Cela fait un moment que je cherche comment vous parler de la thérapie EMDR que je suis depuis un peu plus d’un an et qui m’apporte tellement. Lors de la séance de cette semaine, j’ai vraiment eu l’impression de passer un cap et je vais vous raconter ça. Pour que vous compreniez le contexte, je vais d’abord vous parler de ma phobie des bébés qui pleurent, et de comment j’ai géré cela avec l’arrivée de mon premier enfant. Si vous voulez juste avoir un aperçu de ce à quoi ressemble l’EMDR, allez directement à la deuxième partie de l’article.

.

Première partie

Comme tout le monde, je n’aime pas être témoin de la souffrance d’autrui, surtout pas celle d’un bébé. Mais quand j’entends un bébé qui pleure, cela me met dans un état de détresse tel que je dois immédiatement m’éloigner, c’est irrépressible. Si je ne le fais pas assez vite, j’ai l’impression que je vais vomir. Et je garde tous ces bébés qui pleurent dans ma mémoire.

Quand j’étais enceinte du Béluga, je me suis inquiétée auprès d’une sage-femme de mon incapacité à gérer un bébé qui pleure. Elle m’a répondu avec assurance que, quand ce serait mon bébé qui pleure, je saurai d’instinct ce qu’il a. Ce n’est pas arrivé. Quand le Béluga pleurait, c’était alerte rouge dans ma tête, une panique qui m’empêchait d’utiliser mon cerveau (sachant que toutes mes interactions sociales passent consciemment au peigne de mon cerveau). J’ai petit à petit appris à suivre une checklist de besoins de bébé à vérifier : douleur ? faim ? froid ? peur ? couche sale ? fatigue ? mais mon premier congé maternité a été une expérience difficile, entre l’épuisement « normal », l’inquiétude et ma phobie des pleurs.

En parallèle, le Béluga passait toutes ses journées accroché à moi : je pouvais le laisser seul, posé sur un tapis, pendant 10 minutes sur toute une journée. Le reste du temps, il était en interaction avec moi, dans mes bras ou en écharpe. Cela ne me gênait pas de le porter tout le temps, puisque que cela évitait qu’il pleure. Et quand je ne résolvait pas ses pleurs avec les bras, c’était avec le sein. Bien sûr, dans mon empressement à lui offrir une tétée il y avait cette peur de l’affamer à nouveau (on a été à la limite de l’hospitaliser à 10 jours de vie à cause d’une mise en route chaotique de l’allaitement, j’en parle ici), mais c’est surtout ma phobie des pleurs de bébé qui jouait.

.

Deuxième partie

Depuis deux ans, je vois un psychologue qui est merveilleux pur moi. Les 9 premiers mois, on a traité la question de l’autisme : diagnostic et accompagnement. Puis j’ai mis sur la table une question que j’avais déjà essayé de traiter, sans aucun succès, avec trois psychologues précédents : ma relation avec mes parents. Quand je dois voir mes parents je ressens de la tension, du rejet, et en général je fais des cauchemars. Pourtant, ils m’ont élevée de manière tout à fait normale et j’étais un bébé obéissant et souriant.

Avec l’EMDR, on liste des souvenirs douloureux et on les évoque un par un afin de laisser sortir les émotions qui n’ont pas pu être exprimées à l’époque. Cela permet de désactiver la douleur de se souvenir. Je n’ai volontairement pas cherché à en apprendre sur l’EMDR de manière théorique, donc tout ce qui suit vient seulement de ma propre expérience et ne sera peut-être pas très bien dit.

Pour mes souvenirs douloureux avec mes parents, le psy a compris qu’ils étaient des répétitions de souvenirs douloureux venant d’une période de ma vie où je ne parlais pas encore. On a donc commencé le « protocole des empreintes précoces ». On a évoqué successivement la période où j’étais dans le ventre de ma mère, puis l’accouchement, puis la période néonatale…

J’ai une très grande confiance dans mon psy, mais quand même, j’étais dubitative à l’idée de me souvenir d’une manière ou d’une autre de ces périodes. D’ailleurs, pour la période dans le ventre de ma mère, je n’avais aucun ressenti quand on évoquait cette période. Mais ensuite, waouh ! J’ai eu cette sensation d’être tirée par la mâchoire (déjà ressentie dans le souvenir moins lointain de mon entrée à l’école), et il se trouve que j’ai été sortie du ventre avec des spatules. Peut-être que cela n’a aucun lien. Un des avantages de l’EMDR, c’est justement qu’on ne cherche pas à comprendre les raisons des choses, on accueille les émotions et ça suffit à guérir.

Puis j’ai ressenti ce qui me semble être le reflet de deux semaines passées en couveuse, de l’ennui et surtout une immense et terrible solitude, l’impossibilité de me lier à mes parents, puis le besoin non comblé de rester tout le temps dans les bras de mes parents. Et  puis, un choc, une image soudaine de moi bébé, dans un lit à barreaux dans une chambre totalement noire, à hurler en espérant en vain que ma mère vienne (en lien ou pas, j’ai « fait mes nuits » à 3 mois, pile quand ma mère a repris le travail). A chaque fois, les émotions sortent, les larmes coulent et « nettoient » ce souvenir. A part l’accouchement, il nous a fallu plusieurs séances pour « retraiter » chaque souvenir.

Il y a 3 semaines, on a évoqué la période « bébé » (6 mois – 2 ans). Quand le psy me demande d’évoquer cette période, cela m’évoque un bébé en couche, allongé sur le dos, sur une table à langer, et autour tout est indistinctement gris/noir. Le psy demande ce que je ressens, non pas la Sandrine de l’époque (un piège dans lequel je suis tombée au début), mais la Sandrine de maintenant.

Qu’est ce que la Sandrine adulte ressent quand elle évoque ce « souvenir » ? Je ferme les yeux et il tapote sur mes genoux en alternance, gauche droite. Régulièrement, il fait des pauses pour que je dise ce que je ressens. Puis il me demande d’ouvrir les yeux pour suivre le mouvement de sa main qui passe de droite à gauche. Il y a toujours cette alternance gauche-droite, qui sert apparemment à empêcher le cerveau d’utiliser ses circuits de traitement habituels du souvenir.

Lors de la première séance sur ce « souvenir », le bébé s’est rapidement transformé en alien, à la tête bleue et aux bras tentaculaires, horriblement effrayant ! J’ai eu la sensation de faire une attaque de panique. Le psy m’a proposé, entre autres, de mettre une vitre entre le moi de maintenant et le bébé pour me sentir plus en sécurité. C’est néanmoins resté une évocation très effrayante.

Lors de la deuxième séance, il a fallu toute ma confiance en le psy pour que j’ose refaire face à ce « souvenir ». Heureusement, le bébé ne s’est pas transformé en alien. Par contre j’avais toujours une grande sensation de peur, et je m’imaginais comme sur une plage, face à une mer bourbeuse et très agitée. J’avais peur que cette mer ne m’emporte et que j’y reste prisonnière. J’ai passé la séance à m’imaginer accrochée de toutes mes forces à un poteau planté sur cette plage. Et comme toutes les séances, j’ai pleuré.

Et comme toutes les séances, on a terminé en me remettant d’aplomb, avec une évocation qui s’appelle le lieu sûr. Ainsi le souvenir est comme remis dans sa boîte pour ne pas qu’il me tourmente d’ici au rendez-vous suivant.

La troisième séance sur ce « souvenir » de bébé a eu lieu cette semaine. Elle a encore commencé avec ce bébé sur la table à langer, dans cette pièce vide et sombre. Le psy m’a demandé ce dont ce bébé avait besoin, mais je n’en avais aucune idée. Il m’a alors proposé que la Sandrine adulte vienne dans l’évocation du souvenir. Je me suis imaginée prendre ce bébé dans les bras et j’ai immédiatement commencé à pleurer. Et je me suis aperçue que ce bébé dans mes bras avait en fait la forme d’un coffre-fort verrouillé. Au fur et à mesure que mes larmes sortaient, dans mon évocation le coffre-fort disparaissait et on voyait apparaitre le bébé. Il n’avait pas encore une apparence normale, sa peau avait des zones grises comme le coffre-fort et quelques zones jaunes et oranges, les zones qui me semblaient plus « vivantes ».

A ce stade de la séance, je n’avais pas l’impression que l’évocation puisse encore changer. Mais à ce moment-là, le psy m’a demandé la permission de toucher mon épaule. Il a posé sa main sur ma bras et j’ai immédiatement senti une chaleur dans tout mon corps. Un immense bien-être. Qui a permis de faire sortir énormément de larmes, mais aussi de tensions dans ma mâchoire, de battement de mes paupières, et cette sensation de nausée que j’ai systématiquement quand un bébé pleure. Dès que le psy enlevait son contact, le froid revenait. Il a laissé longtemps sa main contre mon bras. Puis la vague d’émotions s’est calmée.

Et là j’ai compris, en l’ayant ressenti moi-même, ce qu’explique Aletha Solter quand elle dit que parfois les bébés ont besoin de pleurer de tout leur saoul dans nos bras accueillants. Qu’on ne comprend pas forcément la raison des pleurs mais que cela n’a aucune importance. C’est le fait de pleurer, sans contrainte de temps, dans des bras chaleureux et soutenants, qui fait un bien incroyable dans ces moments-là. Et c’est quelque chose que je n’ai jamais offert au Béluga.

Maintenant je pense que je serai capable de le faire quand cela sera nécessaire. Et je sais qu’il n’est pas trop tard pour réparer cela. Je le sais car dans des séances précédentes on a traité d’autres souvenirs, et que depuis je peux faire des câlins au Béluga sans ressentir aucune des émotions désagréables et incompréhensibles qui me perturbaient avant.

Il y a une autre chose incroyable qui est arrivée à la fin de cette séance. Pour la première fois, j’ai ressenti l’espoir. Je ne sais pas vous, mais moi je ne me souviens pas d’avoir ressenti l’espoir. J’ai l’impression de ne pas comprendre le monde dans lequel je vis, et j’ai l’impression que personne ne me comprend, surtout pas mes proches. Depuis toujours, c’est comme si je vis en temps de guerre, où je ne peux compter que sur mes efforts et mon mental. Je passe toutes mes journées à travailler d’arrache-pied pour faire avancer les choses dans le sens que je souhaite, mais je n’ai aucun espoir sur le fait que cela fonctionne. Ce qui me satisfait, c’est de me dire que j’ai essayé de toutes mes forces, donc que je n’ai pas de regrets à avoir si cela ne suffit pas pour que l’objectif soit atteint. Au passage, je prends tout ce qui est positif pour m’apporter de la joie et garder le moral. Mais spontanément (= sans avoir fait de grands efforts d’abord), je n’attends rien de positif. Un peu comme le proverbe « on n’a rien sans rien ». Et tant mieux si je suis agréablement surprise. Or à la fin de cette séance, il m’est venue la possibilité de l’espoir. La pensée que les choses de ma vie pourraient bien tourner, même si je ne déploie pas des efforts hors norme. Je suis loin d’y croire, mais c’est déjà fou pour moi d’entrevoir cette possibilité.

Je vous souhaite, à vous aussi, de trouver le soutien dont vous avez besoin sur votre chemin de vie.