Vous pensiez que c’était fini les longs articles très fouillés sur Végébon ?… Occupée par le concours de cuisine (vous pouvez maintenant voter !) et la rédaction de ma thèse de doctorat, je ne vous en ai pas offert depuis longtemps. En voici un de derrière les fagots pour essayer de faire le clair sur l’huile de palme !
Cette première moitié explique l’intérêt culinaire de l’huile de palme et son effet sur la santé. Et accrochez-vous à votre chaise, parce que ce que j’ai trouvé dans les articles scientifiques n’a été abordé par aucun des articles publiés sur le sujet en France !
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L’huile de palme est extraite de la chair du fruit du palmier à huile, généralement de l’espèce Elaeis Guinnesis, originaire d’Afrique et cultivée dans toutes les zones tropicales. En pressant les noyaux du fruit de ce même palmier à huile, on obtient l’huile de palmiste. Ces huiles ont en commun leur richesse en acides gras saturés, ce qui les rend semi solides à température ambiante, comme l’huile de coco et l’huile de cacao. C’est pour cette raison qu’on appelle aussi ces huiles végétales graisses ou beurres végétaux.
Les margarines contiennent souvent de l’huile de palme. En fait, l’huile de palme entre dans la constitution de nombreuses spécialités culinaires. La moitié des chips, des pâtes à tarte, des viennoiseries et des biscuits apéritifs vendus dans les supermarchés français en contiennent. On entre trouve également dans un tiers des soupes, des pâtes à gâteaux et des biscottes vendues en France, ainsi que dans de nombreux autres aliments comme les plats cuisinés, les biscuits, les sauces, les céréales, les pâtes fraîches et de nombreux pâtés végétaux.
Les produits du palmier à huile ont bien d’autres débouchés que l’alimentation humaine : l’huile de palme peut être transformée en biocarburant, les résidus de pressage (tourteaux) sont utilisés comme aliments pour animaux et l’huile de palmiste permet de fabriquer détergents, produits cosmétiques, peintures et vernis. Par conséquent, chaque Européen nécessite aujourd’hui la culture d’environ 25 m2 de plantation de palmier à huile.
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L’huile de palme et son utilisation en cuisine
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1 – Production et raffinage de l’huile de palme
Chaque palmier à huile produit environ un régime de fruits par mois, pendant presque 25 ans. Chaque régime contient environ 3000 fruits. L’huile de palme représente environ 20 % du poids frais d’un régime. Quand les fruits sont mûrs, le régime est récolté et stérilisé à 140°C, afin d’empêcher la dégradation interne des fruits et faciliter la libération de l’huile. Ensuite, les fruits sont détachés du régime, réduits en purée puis pressés pour séparer l’huile des résidus solides (noyaux et fibres). Le mélange d’huile, d’eau et d’impuretés est alors décanté, centrifugé et séché.
L’huile de palme non raffinée est de couleur rougeâtre et d’odeur caractéristique. Elle est traditionnellement utilisée dans les cuisines tropicales. En Europe, l’huile rouge brute est utilisée comme colorant naturel en pâtisserie ou pour renforcer la couleur jaune des œufs (ajoutée dans la ration alimentaire des poules). Mais l’immense majorité de l’huile de palme consommée par l’industrie agro-alimentaire occidentale, qu’elle soit conventionnelle ou biologique, est de l’huile raffinée. Elle est décolorée avec de la terre, désodorisée à haute température sous un vide poussé puis fractionnée pour séparer ses différents composants. En effet, l’huile de palme est composée à parts égales d’acides gras saturés et d’acides gras insaturés. Le fractionnement permet de séparer les différents composants de l’huile de palme :
- L’oléine, fraction liquide car surtout composée d’acides gras insaturés. L’oléine est souvent utilisée comme huile de friture. Elle peut aussi être hydrogénée pour former des margarines ou des confiseries chocolatées.
- La stéarine, fraction solide à température ambiante car surtout composée d’acides gras saturés. La stéarine est utilisée dans les margarines non hydrogénées, dans les pâtisseries (biscuits, pâte feuilletée, etc), dans les confiseries et dans la majorité des pâtes à tartiner.
Un fractionnement plus subtil permet d’obtenir de nombreuses fractions à la texture intermédiaire, pour satisfaire des besoins particuliers. Le fractionnement peut s’effectuer à l’aide de solvants, de détergents ou par des procédés physiques. Seul le fractionnement physique, qui consiste à presser l’huile chauffée à différentes températures, est autorisé pour la certification biologique.
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2 – Une matière grasse bon marché, même en agriculture biologique
En général, les pesticides se concentrent dans les matières grasses. Pour ménager sa santé, il est donc essentiel de choisir des matières grasses d’origine biologique. Mais les produits biologiques sont souvent plus chers que leur équivalent conventionnel. Dans ce cadre, l’huile de palme a un atout majeur : grâce au rendement élevé du palmier à huile et à la facilité d’extraction de l’huile de palme, son coût de production est très faible comparé au coût des autres matières grasses d’origine biologique.
A titre d’exemple, dans ma biocoop 500 g de margarine végétale coûtent 3,65 € et rancissent au bout de 3 mois dans leur boîte en plastique, tandis que 500 g d’huile de palme coûtent 2,76 €, se conservent sans problème 12 mois et sont vendus dans une simple feuille de papier sulfurisé. Comme je limite ma consommation de graisses saturées, je trouve que l’huile de palme est un bien meilleur achat (moins cher, qui se conserve longtemps) et en plus c’est un aliment moins transformé et moins emballé que les margarines.
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3 – Une huile de friture stable, de goût agréable et bon marché
Il existe deux types de friture : la friture plate où les aliments cuisent dans une poêle huilée (légumes sautés, steaks) et la friture profonde où les aliments cuisent immergés dans un grand volume d’huile (frites, beignets). Pour des raisons économiques, les bains de friture profonde sont réutilisés plusieurs fois. Ainsi, les huiles de friture profonde subissent de multiples chauffages à environ 180 °C, ce qui oxyde et transforme les acides gras poly-insaturés, comme l’acide linolénique (un acide gras poly-insaturé ω3) en composés toxiques (acides gras trans, triglycérides polymérisés, acroléine, etc.).
Pour limiter l’accumulation de ces composés toxiques, les huiles de friture doivent traditionnellement contenir moins de 3 % d’acide linolénique. L’huile de palme contient moins de 1 % d’acide linolénique et elle est naturellement riche en antioxydants, c’est donc une très bonne huile de friture – que ce soit sous forme non raffinée (huile rouge) ou sous forme raffinée (oléine de palme). Les autres huiles de friture peuvent être, selon leur raffinage et l’ajout d’antioxydants, l’huile d’arachide, l’huile de coprah ou de coco, l’huile de tournesol oléique, l’huile d’olive, l’huile de pépin de raisin et certaines huiles de colza, si leur étiquette porte la mention “huile végétale pour friture et assaisonnement”. En friture industrielle, l’huile la plus utilisée est de loin l’huile de palme raffinée, pour sa stabilité oxydative, son goût apprécié et son coût modéré.
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4 – Un composant des margarines végétales non hydrogénées
Les margarines ont été inventées pour remplacer le beurre par un produit économique et facile à conserver. Ces deux produits ont une texture semi solide à température ambiante, grâce à la présence d’acides gras saturés, comme l’acide palmitique illustré sur la figure ci-dessous. Ces acides gras saturés peuvent soit être naturellement présents dans les ingrédients (crème pour le beurre, stéarine de palme pour les margarines), soit être produits par la modification chimique d’une huile normalement liquide à température ambiante, en général son hydrogénation.
Petite explication des symboles sur la figure ci-dessus : L’acide palmitique est l’acide gras 18:0, c’est à dire qu’il comporte 18 atomes de carbone et 0 insaturation : c’est un acide gras saturé. L’acide élaidique comporte 18 atomes de carbone et 1 insaturation trans sur le carbone 9 : c’est un acide gras trans. L’acide oléique comporte 18 atomes de carbone et 1 insaturation cis sur le carbone 9 : c’est un acide gras mono-insaturé de la famille oméga 9. L’acide linoléique comporte 18 atomes de carbone et 2 insaturations cis, sur le carbone 6 et sur le carbone 9 : c’est un acide gras poly-insaturé de la famille oméga 6.
Lors de l’hydrogénation d’un acide gras, des atomes d’hydrogène se greffent sur les carbones insaturés, les transformant en carbones saturés. Pour exemple, la figure ci-dessus montre des acides gras insaturés, l’acide oléique et l’acide linoléique, et leur équivalent saturé, l’acide palmitique. Le problème de l’hydrogénation, c’est qu’elle doit être partielle si on souhaite obtenir un produit à la fois ferme et malléable. Or l’hydrogénation partielle des huiles produit une quantité notable d’acides gras trans. Dans la majorité des margarines hydrogénées, 35 % des acides gras sont trans ! Comme le montre la figure ci-dessus, les acides gras trans (ici l’acide élaidique) ont une forme différente de leur équivalent insaturé (ici l’acide oléique) et de leur équivalent saturé (ici l’acide palmitique). Les acides gras trans seraient encore plus délétères que les acides gras saturés pour la santé cardio-vasculaire. Ainsi, la figure suivante montre que le risque de coronaropathie, la principale maladie cardiaque en Europe, est plus élevé si on consomme des graisses riches en acides gras trans, comme les margarines hydrogénées, que si on consomme des graisses riches en acides gras saturés, comme l’huile de palme.
En agriculture biologique, l’hydrogénation est interdite. En agriculture conventionnelle, elle est obligatoirement mentionnée dans la liste des ingrédients. Notons que des acides gras trans sont naturellement produits dans l’estomac des ruminants (bovins, ovins, caprins) et se retrouvent en petite quantité dans leurs produits laitiers, leurs graisses et leurs viandes. Ceci expliquerait en partie pourquoi la consommation de beurre est plus délétère pour la santé cardio-vasculaire que la consommation d’huile de palme, comme on va le voir juste après.
Pour obtenir une margarine sans huile de palme ni acides gras trans, les seules alternatives sont l’huile de palmiste et l’huile de coco. Mais ces deux huiles sont aussi d’origine tropicale et elles sont encore plus riches en acides gras saturés.
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L’huile de palme et son effet sur la santé
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L’huile de palme contient des composants ayant un impact connu sur la santé, notammment des acides gras saturés, de la vitamine E et parfois de la provitamine A.
Provitamine A
La vitamine A à proprement parler, appelée rétinol, ne se trouve que dans des produits d’origine animale. Mais notre organisme est parfaitement capable de fabriquer du rétinol à partir de provitamine A, avec l‘avantage d’éviter tout risque d’hypervitaminose A. La provitamine A, aussi connue sous le nom de beta-carotène, est largement présente dans les fruits et légumes mûrs de couleurs vive (carotte, épinard, tomate, citrouille, persil, abricot).
Pour comparer la teneur en vitamine A des aliments, on mesure les équivalents d’activité rétinol (EAR). 100 g de beurre contient 680 μg EAR, 100 g de carottes 850 μg EAR, 100 g d’huile de palme rouge 5000 μg EAR… mais 100 g d’huile de palme raffinée (désodorisée) ne contient plus aucun EAR ! Pour référence, le besoin journalier d’un homme adulte en vitamine A est 900 μg EAR.
Vitamine E
La vitamine E recouvre en fait un ensemble de molécules comprenant des tocophérols et des tocotriénols. Ce sont toutes des antioxydants mais chacune a probablement un effet spécifique, actuellement mal connu, de même que les apports journaliers recomandés pour chaque type de vitamine E. Ces molécules sont présentes dans les graines oléagineuses, les graines germées et les huiles végétales.
L’huile de palme rouge est extrêmement riche en vitamines E (127 mg pour 100 g d’huile) et l’huile de palme raffinée reste riche en vitamines E (103 mg pour 100 g d’huile). Cette richesse naturelle en antioxydant, couplée à une faible teneur en acides gras polyinsaturés, font de l’huile de palme une huile supportant bien la cuisson.
Acides gras saturés
Les acides gras saturés, notamment ceux à longue chaîne (16 atomes de carbone ou plus) sont soupçonnés de causer des maladies cardiovasculaires. Considérons l’effet de l’huile de palme par rapport à celui de substituts usuels : la figure ci-dessous montre la composition globale en acides gras de l’huile de palme, du beurre, du saindoux, d’une margarine hydrogénée moyenne et de l’huile de tournesol oléique, d’après les données de cet article.
Les chercheurs ont considéré que 7,5 % des calories de l’alimentation sont apportées par l’huile de tournesol oléique (de composition semblable à l’huile d’olive) ou par une autre matière grasse. Et ils ont comparé l’augmentation de risque de souffrir de coronaropathie, la principale maladie cardio-vasculaire en Europe. Si on utilise de l’huile de palme plutôt que de l’huile de tournesol oléique, on a 8 % de risque supplémentaire d’avoir une coronaropathie. Mais l’augmentation de risque est de 19 % si on remplace l’huile de tournesol oléique par du beurre ! Cette différence de risque de maladie cardiovasculaire pourrait s’expliquer par la différence de composition de ces matières grasses : les acides gras de l’huile de palme sont à 49 % saturés (et moins de 1 % trans), tandis que ceux du beurre sont à 68 % saturés (et 6 % trans).
Voici l’augmentation du risque de coronaropathie quand 7,5 % des calories sont constituées par de l’huile de tournesol oléique ou par une autre matière grasse (figure élaborée d’après Mozzafarian et Clarke) :
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Une autre différence entre ces graisses est la position des acides gras saturés. En effet, dans les matières grasses, les acides gras ne sont pas libres : ils sont attachés à une molécule de glycérol. Chaque glycérol contient trois sites de fixations d’acides gras : sn1, sn2, sn3. Quand chacun des sites a fixé un acide gras, l’ensemble s’appelle un triglycéride. Lors de la digestion, le triglycéride est brisé pour redonner du glycérol et des acides gras libres, qui sont absorbés dans l’intestin. Or, l’efficacité de cette étape dépend de la position des acides gras sur le glycérol : l’acide gras le plus facilement digéré est celui fixé en position sn2. Ainsi, on considère qu’un acide gras saturé à longue chaîne a un effet plus fort s’il est en position 2 (comme dans le lait et les graisses animales) que s’il est en position 1 ou 3 (comme dans l’huile de palme, de coco ou de cacao). La présence d’acides gras saturés en position sn2 semble favorable pour les nourrissons, qui ont besoin de beaucoup d’énergie, mais défavorable pour les adultes, qui risquent d’acquérir une maladie cardio-vasculaire.
Donc si vous voulez protéger votre santé, remplacez le beurre par l’huile de palme bio ! Ou encore mieux, par de l’huile d’olive, à part quand vous faites des tartines ou de la pâte feuilletée. Et fuyez à tout prix les produits indiquant « huile végétale hydrogénée »…
… La suite, dimanche prochain, parlera de l’impact de la production d’huile de palme sur les humains et sur l’environnement.
Bon dimanche !